Enseignement supérieur : un réel changement ?

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Cette semaine on discute avec Rémy Challe, le Directeur Général d’Edtech France, la nouvelle association regroupant de plus en plus de startups de l’Edtech française.

Au menu, l’état de l’Edtech en France et ailleurs, ses problèmes et ses opportunités pour la suite. L’Edtech a t-elle réellement réussie à changer pour le mieux l’Enseignement supérieur ? Quels problèmes inhérents à l’Éducation font-ils obstacle à l’innovation pédagogique ?

Beaucoup de questions auxquelles Rémy a pu nous donner son analyse.

(Si vous n’avez pas le temps d’écouter le podcast en entier, vous pouvez passer de chapitre en chapitre sur le lecteur)

Voici quelques extraits de notre conversation.

TestWe : Où en est l’Edtech en France ?

Rémy Challe : On est au début de quelques chose là. Il y a 6 mois je ne savais pas vraiment ce que c’était pour diverses raisons. Mais il y a clairement une courbe de croissance qui se dessine. Maintenant, bien que cette courbe croissance soit à deux chiffres en France, quand on regarde les investissements massifs qu’il y a en Inde, en Chine et aux États-Unis, en France on reste encore loin.

La France est un pays d’éducation et il faut que nous puissions soutenir beaucoup plus nos entrepreneurs et pas simplement les envoyer au CES de Las Vegas, sinon dans quelques années, les outils que nous utiliserons seront chinois, indiens , américains etc. Ça ne veut pas dire qu’elles sont mauvaises, elles sont juste, je pense, moins adaptées à un système de valeurs de l’éducation française. L’Edtech française devient presque une question de souveraineté !

T : C’est quoi le système de valeur français ? Qu’est-ce qu’on revendique ?

R.C : Il y a une forme d’universalisme, la France c’est aussi le pays des Droits de l’Homme. De manière très pragmatique on a la protection des données, elle n’est pas connue de la même manière en France, en Chine, en Inde etc.

Et ça nous devons le revendiquer, nous devons protéger ces valeurs et les promouvoir en France. Il m’arrive parfois de rencontrer des entrepreneurs de l’Edtech français qui font 100% de leur chiffre d’affaire à l’étranger. Alors c’est bien, cela veut dire qu’ils s’exportent facilement et que la “French touch” a du succès, mais c’est triste en même temps parce que cela veut dire qu’ils n’arrivent pas à proposer leur solution dans leur propre pays, et ce n’est pas normal.

T : Quel est le sentiment des acteurs de l’Éducation par rapport aux outils Edtech ?

R.C : (rires) Eh bien, il y a des sentiments divers et variés. Déjà ici je ne parlerais pas de la formation continue, parce que l’Edtech est accepté largement et parce qu’il y a moins de dogmes. On est face à des acteurs qui sont des entreprises qui vivent des périodes de transformations numériques importantes ; et dans tout ça l’Edtech est déjà considéré comme une solution dont il faut s’armer pour former tous les membres d’une entreprise.

Quand on parle du scolaire en France (c’est à dire du K12) là c’est complexe, parce qu’il y a un marché qui est un marché public. En France ce ne sont pas les professeurs qui achètent par exemple, ce qui n’est pas le cas en Chine. Et même s’ils veulent acheter une solution innovante et pertinente pour répondre à leurs besoins pédagogiques et à ceux de leurs étudiants, ce n’est pas eux qui vont les payer.

Vous voulez vendre à une école primaire, il faut s’adresser à la commune, vous voulez vendre à un collège il faut s’adresser au département et pour un lycée il faut s’adresser à la région. Et puis celui qui décide ce n’est pas celui qui paye, celui qui paye n’est peut être pas celui qui va utiliser, et il paye peut être pour qu’au final quelqu’un d’autre utilise la solution, donc vous voyez c’est un peu cauchemardesque.

Et puis il y a plus de dogme. D’abord, il y a celui selon lequel l’éducation est gratuite alors qu’il y a toujours quelqu’un qui paye en fin de compte, puis il y a toujours une méfiance envers les acteurs du secteur privé. Il y a souvent cette vision des entrepreneurs comme des requins de la finance alors que c’est loin d’être le cas. Dans l’Edtech on retrouve quasiment exclusivement des entrepreneurs passionnés de l’Éducation ou des personnes issues du monde l’Éducation qui cherchent à résoudre de réels problèmes. Quoi qu’il arrive, on ne va sur ce secteur là par appât du gain.

Enfin il y a ce troisième silo qui est celui de l’Enseignement supérieur. Ici on retrouve des acteurs privés, des acteurs publics. Globalement, dans l’Enseignement supérieur il y a eu une prise de conscience générale que l’Edtech pouvait grandement aider. Cette prise de position s’explique par plusieurs facteurs. Il y a d’abord une appétence pour l’innovation, il y a un climat de compétition qui pousse les institutions à innover.

Et puis il y a ces jeunes de 20 ans, qui utilisent leur smartphone jusque pendant leurs cours. Alors là la question n’est pas de savoir comment interdire ces outils mais plutôt “l’apprenant que j’ai face à moi n’est pas le même qu’il y a vingt ans, il faut donc que je m’adapte.” Il y a donc un changement de posture qui est prévu mais qui est aussi inévitable.

Alors on passe d’une époque où le professeur était le seul détenteur du savoir à une époque où le savoir est partout et il faut simplement savoir comment avoir accès aux informations pertinentes, il faut donc apprendre à apprendre et le professeur joue un rôle déterminant là dessus. Le professeur doit devenir … bon je n’ai pas envie de dire un coach, on va dire un accompagnateur.

TW : Que penses-tu de l’autonomie des professeurs ?

R.C : Il y a des programmes que l’enseignant doit suivre c’est clair mais après il y a quand même une liberté pédagogique et il faut que cette liberté existe, qu’on puisse choisir ses propres méthodes, ses propres manuels etc.

TW : À la façon finlandaise ? C’est à dire qu’en Finlande les enseignants disposent d’une totale autonomie …

R.C : Alors on en est pas là mais d’ailleurs je ne pense même pas que l’on devrait répliquer ce modèle en France. La Finlande c’est la Finlande, et puis c’est un pays plus petit, les échelles sont différentes, les traditions sont différentes. En revanche en France il existe quand même une liberté pédagogique. Le problème c’est qu’elle n’est pas du tout étendue aux solutions innovantes. Parce que souvent il n’y a pas de moyens pour en acheter. Alors peut être faudrait-il donner plus de libertés aux enseignants quant à leur pédagogie, leurs méthodes …

Sur l’Enseignement supérieur, là il y a plus de libertés ! Dans l’élaboration des programmes, le choix des méthodes … c’est pour ça que c’est un espace qui m’intéresse et qui peut peut être par capilarité, diffuser cette liberté pédagogique au K-12.

Alors oui il y a une résistance au changement, mais comme je l’ai dit tout à l’heure, la prise de conscience est déjà là.

T.W : Sortons de la classe et parlons de l’Éducation dans globalité et plus structurellement. Il y a une crise de l’Higher Ed qui se profile à l’horizon, notamment aux US, au UK. Une crise financière mais aussi une crise de la connaissance via le phénomène du skills gap. Tu en penses quoi ?

R.C : Alors déjà la situation en France est pas tout à fait comparable à la situation anglo-saxonne. D’abord parce que l’enseignement est “gratuit” à l’université par exemple.

TW : D’un autre côté il y a aussi de plus en plus d’étudiants qui vont dans le privé, comme les écoles de commerce

R.C : C’est vrai, il y a ces écoles de commerce, de communication, d’ingénieurs où les frais sont relativement élevés. Pour être clair, le coût d’un étudiant à l’université (à peut près 13 000 euros) est à peu près le même que celui d’un étudiant en école de management.

Alors pour l’université c’est la collectivité qui paye et c’est formidable, et dans les grandes écoles de management ce sont les apprenants qui payent et c’est pas bête non plus. Alors oui il y a un endettement des apprenants mais qui reste très loin des cas américains ou britanniques, donc la crise qu’on peut voir dans ces régions n’existe pas en France …

TW : Mais est-ce qu’elle peut exister ?

R.C : C’est un fait, les frais de scolarité ont augmenté de manière importante dans les écoles de management ces dix dernières années, ils ont quasiment doublés. Et oui pour débuter dans la vie ça peut être un boulet au pied. Maintenant il existe des tas de dispositifs de soutien et des dispositifs alternatifs comme l’apprentissage où ce sont les entreprises qui payent pour les étudiants qui sont en plus payés entre 1 000 et jusqu’à 2 000 euros net par mois !

Il faut aussi ne pas tomber dans le cliché des grandes écoles comme endroits pour fils à papa ! On retrouve parfois plus de diversités dans les grandes écoles que dans certains amphi à l’université. Même dans les grandes écoles, on peut avoir accès à des bourses, on peut travailler à côté, on peut emprunter aux banques si besoin.

Alors c’est vrai que les frais augmentent mais je ne pense pas qu’ils peuvent encore monter très haut, contrairement à ce que d’autres pensent, ça ne me paraîtrait pas raisonnable de propose des écoles à 20 000 euros l’année.

T.W : Et le retour sur investissement reste positif ?

R.C : Oui il reste positif, maintenant … Il n’est plus exactement le même non plus. Plus on est de diplômés, moins notre diplôme a de la valeur d’une certaine manière. Donc les salaires à l’embauche sont sans doute moins performants qu’il y a 20 ans.

Mais je ne crois pas que la crise que tu sembles annoncer à raison arrivera en France. En revanche il y a des points de vigilance, il faut faire attention, l’éducation ce n’est pas une marchandise, en tout cas pas comme une autre, il ne faut pas tomber dans un travers comme ça peut se retrouver aux États-Unis ou ailleurs.

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